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P.Y. Maillard, AGEFI/04/13

Pour un droit foncier spécifique
L’Agefi - 08.04.2013
PIERRE-YVES MAILLARD. Le président du Conseil d’Etat du canton de Vaud affirme que la stratégie énergétique 2050 de la Confédération (avec sortie du nucléaire) n’est pas réaliste sans changement d’environnement législatif
Plus ou moins stable pendant des décennies, le secteur de l’électricité se trouve aujourd’hui confronté à des bouleversements profonds. En raison des changements législatifs visant à libéraliser une partie du marché tout d’abord. Suite à la décision prise par le Conseil fédéral de sortir rapidement du nucléaire ensuite, ce qui contraint les exploitants à provisionner tout de suite les coûts de démantèlement. Enfin, le marché européen de l’énergie est en surcapacité, avec des effets déstabilisants sur les prix en Suisse. Et une remise en cause de la solidité financière des groupes d’électricité dans toute l’Europe.
Initiateur et leader des opposants à la Loi sur le Marché de l’électricité (LME), qui fut abandonnée en septembre 2002, le président du gouvernement du canton de Vaud Pierre-Yves Maillard (socialiste) n’a pas cessé de suivre le dossier. Son expérience de terrain démontre, dit-t-il, que la stratégie énergétique 2050 du Conseil fédéral n’est pas réaliste. Les investissements d’infrastructures dans les énergies renouvelables ne seront tout simplement pas possibles sans faire évoluer au préalable ce qu’il appelle «le droit du sol». C’est-à-dire des conditions cadres d’exception permettant de réaliser un programme vital et de grande envergure, également d’exception.
Pensez-vous que la stratégie 2050 du Conseil fédéral, liée à l’abandon du nucléaire, est réaliste?
Il y a une grande lacune: la possibilité concrète d’investir. Nous sommes une génération gâtée et bénéficions essentiellement des choix courageux des précédentes. La construction des barrages, des lignes à très haute tension par exemple. Elles seraient probablement impossibles aujourd’hui, et tout le monde le sait. Notre canton, sous la conduite de ma collègue Jacqueline de Quattro, investit 100 millions dans le soutien aux nouvelles énergies renouvelables via un rachat à prix coûtant cantonal et à l’assainissement énergétique, dont 30 millions pour l’isolation et le remplacement des chauffages électriques. Par ailleurs, notre loi sur l’énergie est en révision. Puis le grand chantier est la planification éolienne que nous achevons. Cette politique doit nous permettre de nous passer de l’apport nucléaire. Mais pour avancer avec l’intensité et le rythme requis nous devons constater que le droit du sol représente actuellement un obstacle presque insurmontable à la réalisation des projets d’intérêt général dans les énergies renouvelables.
Vous êtes bien pessimiste!
Plus rien ne résiste à l’égoïsme ambiant. Il y a des résistances partout, possibles à chaque étape de la réalisation d’un projet. Le système procédural, par sa longueur, donne un quasi droit de veto aux opposants. Notre planification cantonale éolienne permettrait à terme de couvrir la consommation moyenne de 142’500 à 285’000 ménages. Mais dans la concrétisation, nous devrons constater que même face à une décision populaire favorable au niveau communal, le plus près des citoyens, comme cela a été le cas à Sainte-Croix, les prochaines étapes donneront lieu à une guerilla juridique qui menacera d’épuiser les énergies et les moyens nécessaires. En outre, la certitude que des recours seront déposés rallonge les délais de l’administration qui doit tout peaufiner en amont pour réduire le risque de perdre face à ces recours. En politique, le problème est souvent moins le «quoi faire», que le «comment faire» de la réalisation. Les investisseurs privés et publics ont les capitaux, ils doivent pouvoir compter sur une sécurité de l’investissement. Ce n’est de loin pas le cas aujourd’hui.
Et comment sortir de cette impasse?
Soit un cadre légal et des moyens sont mis à disposition de la justice pour que toutes les étapes du droit puissent être franchies dans des délais rapides, soit nous devons créer des exceptions aux procédures requises pour les projets de nouvelles énergies renouvelables, dans l’éolien ou le solaire notamment. Il ne s’agit pas d’annuler le droit de recours, qui comme moyen de vérifier l’application correcte d’une loi est légitime, mais de modifier la législation pour décider que ces équipements, une fois planifiés et validés selon une procédure démocratiques, doivent franchir moins d’obstacles et obtenir moins de validations et autorisations que d’autres. Il y a sans doute du travail à faire au niveau cantonal et nous y travaillons, mais le débat doit avoir lieu au plan national.
Vous pensez que l’opinion publique, le corps électoral, les partis politiques pourraient accepter cela?
Quand la question du droit de recours a été posée au peuple, elle l’a été sans distinction sur la nature des projets, sans limite de temps et en prenant pour cible uniquement les associations. Ce sont trois motifs de rejet. Aujourd’hui, il s’agit de cesser de se payer de mots et de se donner les moyens d’une mutation énergétique écologique et de la préservation de notre souveraineté dans ce domaine.
Ne faudrait-il pas que l’initiative politique vienne de droite?
La droite devrait admettre une atteinte limitée à la propriété privée, la gauche et les verts devraient clarifier ce qu’ils entendent par croissance écologique. Faire accepter un droit d’exception est sans doute difficile. Le risque de cumuler les oppositions existe. Mais la population mesure l’enjeu pour le pays de la réussite de cette stratégie énergétique.
Si la stratégie 2050 a été adoptée, on peut supposer que sa faisabilité a été évaluée.
Je crains le manque de volontarisme. Le risque est patent que les autorités fédérales disent dans cinq ou dix ans que l’objectif de sortie du nucléaire était inatteignable, qu’il faut le reporter ou l’abandonner. Je suis pourtant convaincu qu’il existe aujourd’hui une coalition majoritaire d’intérêts économiques et sociaux pour créer les conditions rendant possible cette stratégie. Et il ne s’agit pas que de la sortie du nucléaire. Je rappelle les grands espoirs suscités un temps par le terme «cleantech». Aujourd’hui, l’industrie solaire qui s’était développée en Suisse s’est en grande partie déplacée vers la Chine. Une partie de l’Europe paie cher pour sortir du nucléaire, mais elle laisse l’industrie de substitution se développer loin de chez elle, dans une économie encore très planifiée, au nom des règles du marché! Je ne suis pas sûr que la Suisse officielle ait conscience du risque qu’elle prend de renoncer à son autonomie énergétique et à l’industrie associée.
La volonté d’investir est apparemment très faible.
Les investissements dans ce secteur ont un horizon de long terme, avec des rendements limités. Ils ne peuvent guère reposer entièrement sur des mécanismes de marché. L’électricité offre en revanche des conditions intéressantes pour les caisses de pension. Il n’est pas facile de trouver aujourd’hui des domaines d’investissement qui ne détruisent pas de la valeur. Les réseaux électriques offrent des rendements plutôt modestes, mais stables. Leur clientèle est captive.
Que pensez-vous de la situation assez critique des grands groupes d’électricité?
Ceux qui n’ont pas de centrale nucléaire, comme Romande Energie, se trouvent dans une position plus favorable, même si la situation se dégrade de manière générale. Les marges des années précédant 2012 ont cependant permis un désendettement important. Les dividendes sont restés très modestes par rapport au bénéfice généré (23% de l’EBITDA dans le cas de Romande Energie en 2011, ndlr). Les pouvoirs publics n’ont guère d’exigence en termes de rendement (2,4% en 2011). Nous laissons beaucoup de moyens pour investir.
La cotation de ces sociétés, avec en plus un flottant faible, est-elle justifiée?
Je ne vois pas tellement l’intérêt. Mais les obligations de transparence qui y sont liées ne sont pas mauvaises.
Le cas d’Alpiq doit vous préoccuper, puisque Romande Energie, via EOS Holding, est actionnaire de référence.
Le Département de la sécurité et de l’Environnement de Jacqueline de Quattro suit le dossier . Vous savez toutefois que le coût de sortie du nucléaire a dû être monétisé et inscrit au bilan d’Alpiq. Les collectivités publiques, la Confédération en particulier, doivent surveiller cette période. Et intervenir si nécessaire. Toutes proportions gardées, elle a déjà procédé au sauvetage d’une grande banque et d’une compagnie d’aviation. Nous suivons les développements capitalistiques récents et notamment l’éventuelle sortie d’un gros actionnaire étranger. Si le cadre légal préserve une sécurité pour les investissements, alors les collectivités publiques ou les caisses de pensions pourront se poser la question de prendre le relais. En Suisse, nous avons une vision trop dogmatique de ce genre de question. Regardez ce qui s’est passé avec UBS.
L’Etat est intervenu.
Le groupe à peine sorti d’affaire, la Confédération et la BNS se sont retirés. L’opinion prévaut en Suisse que l’Etat ne doit pas se mêler des affaires privées. Quitte à négliger gravement leur dimension stratégique. Nous laissons ainsi la place au fonds souverain de Singapour, place financière concurrente, devenue actionnaire de référence d’UBS. D’autres pays ont donc une approche différente. Qui acquiert? Les fonds du Qatar, de la Russie, de la Chine. Des Etats-nation avec des bras armés financiers. Ce n’est pas le privé qui prend position dans les technologies d’avenir, mais des puissances capitalistiques appuyées par des Etats. L’ancien président du Parti libéral-radical Fulvio Pelli avait proposé la création d’un fonds souverain suisse – ce qui représentait déjà un changement de perspective intéressant. Mais ce fonds était destiné à investir à l’étranger. Il faut aller jusqu’au bout de la réflexion. Un fonds de ce genre pourrait aussi investir en Suisse. Dans les équipements énergétiques par exemple. Pour assurer une meilleure sécurité d’approvisionnement. Et réaliser aujourd’hui ce qui a été fait lors de la construction des grands barrages.
Interview: Christian Affolter - François Schaller
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L’après non-libéralisation
Comment analysez-vous l’évolution des conditions cadres depuis le refus de la LME?
Cette loi n’a été soumise au peuple que deux ans après l’aboutissement du référendum, ce qui est, à ma connaissance, un délai record. La LME aurait dû servir à contraindre les cantons à l’ouverture du marché. Ensuite, il y a eu la plainte des entreprises industrielles de Migros (Estavayer Lait/Micarna) et de Watt AG, à laquelle s’était associée la Comco, contre le refus des Entreprises électriques fribourgeoises (EEF) de faire transiter dans son réseau le courant produit par Watt. Le 17 juin 2003, en refusant le recours d’EEF contre la décision de première instance, le Tribunal fédéral a en fait considéré que le marché existait déjà.
Ce qui a contourné le refus par le peuple de la LME.
C’est cela. La volonté populaire a été contournée sur le tapis vert. Il a donc fallu fonder les monopoles au niveau cantonal. Le Conseiller d’Etat Jean-Claude Mermoud l’a fait sur Vaud, à la demande conjointe des milieux patronaux et syndicaux. Puis la loi de libéralisation partielle, ou plus justement de monopole partiel (Loi sur l’approvisionnement en électricité, LapEl, du 23 mars 2007, entrée en vigueur début 2009) s’est préparée à Berne. Elle a introduit des seuils de consommation à partir desquels une entreprise a le droit de désigner son fournisseur, en renonçant à la garantie d’approvisionnement. En contrepartie, les producteurs d’énergie ont certaines contraintes en termes de soutien aux énergies renouvelables. Nous avons ainsi une loi que même certains anciens partisans de la LME jugent finalement meilleure.
Avec quel résultat?
Contrairement aux attentes des partisans de la libéralisation, l’engouement de la part des grandes industries pour ce marché est resté très faible. Ce qui indique qu’elles préfèrent payer un peu plus cher pour conserver la sécurité d’approvisionnement en énergie électrique que garantit un monopole assorti d’obligations de service public. La valeur de ce concept, pourtant développé par les partis bourgeois au cours de trente glorieuses, a donc été sous-estimée, ce qui montre qu’il n’est pas archaïque. L’évolution des prix a également pris une tournure imprévue.
Vous voulez dire qu’elle n’a pas favorisé les changements de fournisseurs?
Avec la transparence ainsi acquise sur les prix, toute la Suisse alémanique a pu comparer les prix avec ceux pratiqués en Allemagne, beaucoup plus volatils. Il s’est avéré que les fournisseurs suisses étaient compétitifs, également grâce à des prix en baisse. Si nous avons eu une bonne décennie pour l’industrie, une partie du mérite revient aussi au refus de la LME.
D’où vient cette volatilité en Allemagne?
C’est une situation particulière, la libéralisation du marché coïncidant avec le choix pour le renouvelable et l’arrêt de certaines énergies polluantes. Dans un marché régulé, les producteurs d’électricité avaient créé des capacités visant à assurer la sécurité de l’approvisionnement. Avec la libéralisation, ces réserves arrivent sur le marché, créant ainsi une production excédentaire faisant pression sur les prix, et finalement une tendance à leur démantèlement. La diminution des capacités de production augmente encore la sensibilité aux fluctuations. Les effets sur les prix et la qualité de l’approvisionnement deviennent difficiles à maîtriser. C’est précisément ce que l’industrie déteste. (CA/FS)

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