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vendredi 8 décembre 2017

Transition énergétique: petite pièce en 3 actes

Beaucoup d'égo et une bonne com: prêt pour cuisiner sa transition énergétique
Acte 1: l'auditeur

Voici un petit feuilleton que je m'amuse à partager avec vous. Tout a commencé par une émission de radio. Une personnalité mondialement connue, appréciée et saluée comme l'une des grandes figures de notre siècle s'exprime sur notre avenir énergétique. Un auditeur interpellé par l'optimisme affiché de l'invité quant à la solution du tout électrique, lui tint à peu près ce langage:

"Cher Monsieur, comme vous parlez bien et comme vous pensez beau. Si vos solutions se rapportent à votre ramage, nul doute que vous êtes le phénix des hôtes de cette planète. Cependant il reste quelques détails sur lesquels il me plairait de vous entendre plus fort. En ce qui concerne la mobilité électrique, je suis personnellement arrivé à la conclusion que pour couvrir ses besoins, nous aurions besoin de l'équivalent de 2.5 centrales nucléaires ou 5'000 éoliennes. Sans oublier l'électricité à produire pour les pompes à chaleur que vous préconisez.

- D'où ma première question: d'où viendra toute cette électricité, sachant que sans nouvelles centrales nucléaires ou à gaz en Suisse, il faudra l'importer (1'000 éoliennes planifiées en Suisse ne produiront que l'équivalent de la moitié d'une centrale nucléaire)?

- Concernant l'énergie renouvelable actuellement la plus à la mode, soit l'éolien, vous êtes-vous informé sur les dégâts que ce type d'énergie peut provoquer sur la santé des riverains des parcs éoliens ? Je serais intéressé de lire vos commentaires de médecin sur les symptômes constatés et leurs effets sur le long terme"
Acte 2: le beau parleur

Soucieuse d'apporter une réponse à la hauteur de son titre, la star interpellée s'empressa de mettre en lumière et en texte l'étendue de son savoir. Si j'osais je vous le résumerais  ainsi: "moi et tous ceux qui pensent comme moi savent. Les autres n'ont pas compris." Mais je ne voudrais pas vous priver de l'immense savoir de celui qui vole avec le soleil:

"Cher Monsieur,

Vos questions touchent le cœur-même de la transition énergétique, et je me fais un plaisir de vous donner mon avis sur ce sujet. Comme dans tout changement, des peurs rationnelles autant qu’irrationnelles apparaissent et il est toujours nécessaire de regarder le problème dans son ensemble.(NDLR bien sûr... 😉)

Question 1 :
Il est à mon avis erroné de raisonner en cherchant à augmenter la production d’énergie, alors que l’inefficience des systèmes que nous utilisons engendre le gaspillage de plus de 50% de l’énergie consommée. La vision systémique consisterait à utiliser pour les voitures électriques l’énergie que l’on peut économiser ailleurs. Dans un pays comme la Suisse, le remplacement des ampoules actuelles par des LED, et des chauffages électriques à résistance directe par des pompes à chaleurs, correspondrait à l’économie de deux centrales nucléaires. Cela signifie qu’aujourd’hui deux centrales nucléaires ne fonctionnent que pour compenser les pertes dues à l’inefficience de nos systèmes d’éclairage et de chauffage ! Voilà qui est aberrant…
Je ne connais pas les chiffres pour la Suisse, mais en France, si la totalité du parc automobile était électrique, cela ne consommerait que la moitié de l’électricité utilisée par les chauffages électriques. Là aussi, le passage à un parc électrique concomitant de la transformation des chauffages électriques en pompes à chaleur dégagerait même un surplus d’énergie à disposition, sans aucune production supplémentaire.
En allant encore plus loin contre les idées préconçues, on voit que si l’électricité des voitures était produite par des centrales à charbon avec cogénération, on diviserait par deux les émissions de CO2… Pourquoi ? Parce que le rendement d’un moteur électrique actuel atteint 95% et celui de la centrale 80%, alors que dans un moteur à combustion on plafonne à 27%. Le pire est donc de brûler du carburant directement dans un moteur thermique de voiture. 

 Question 2 :
Si l’on parle de production d’énergie renouvelable, il est évident que l’éolien doit être installé à distance raisonnable des habitations. Tout en sachant aussi que les éoliennes modernes sont beaucoup plus silencieuses que les modèles de première génération (NDLR voici une phrase que j'entends depuis 10 ans et qui suscite immédiatement ma méfiance, ce langage est exactement celui des promoteurs et non une donnée scientifique établie) Mais l’éolien est loin d’être la seule solution. Dans de nombreuses régions, le solaire, la biomasse, l’hydroélectrique de rivière et la géothermie profonde n’ont pas encore du tout été suffisamment développés. Les stratégies de stockage de cette énergie intermittente dans du froid, de la chaleur, des batteries de voitures auxquelles on offre une 2ème vie dans les bâtiments, de l’hydrogène, etc, laissent penser que l’on pourra se passer d’une production de base beaucoup plus vite qu’on ne le croit.

Vous trouverez toujours des gens pour contester ces chiffres, pour contredire la faisabilité de cette transition, mais j’y suis habitué. (...) (NDLRje coupe la partie qui permet d'identifier l'invité de la radio, je ne veux pas faire le procès d'une personne, mais celui d'un discours imparfait sous un vernis parfaitement étalé)

Il y a aujourd’hui deux mondes qui se côtoient. L’ancien, celui qui feint d’ignorer le potentiel incroyable de la transition énergétique, voir même qui tente d’y résister comme Kodak face à la photographie digitale avant de disparaître, et le nouveau, celui des énergies renouvelables et des technologies efficientes, qui draine de plus en plus de capitaux d’investissement au risque d’assécher rapidement les besoins d’investissement des tenants des énergies fossiles. Le nouveau monde est logique autant qu’écologique, car il engendrera davantage de nouveaux emplois et de profit par une croissance propre consistant à remplacer les vieux systèmes démodés et polluants par des technologies modernes et efficientes.

Mes nombreux voyages me montrent actuellement des progrès extrêmement rapides dans de nombreux pays, et je regretterais beaucoup que la Suisse manque ce virage technologique et prenne un retard qui nous pénaliserait.

J’espère avoir répondu à vos questions de façon satisfaisante et vous envoie, cher Monsieur, l’expression de mes meilleurs sentiments.
"
Vous l'aurez compris, cette personne ne doute pas une seconde de son génie et de ses capacités à se projeter dans un avenir qu'elle imagine à sa façon, la vrai, la bonne, la moderne, la juste, la seule... Tous ceux qui ne voient pas les choses aussi simplement ne sont que des arriérés qui n'ont plus grand chose à faire sur cette terre qu'ils condamnent en n'adhérant pas à la pensée unique, heu pardon, à la pensée moderne.

Acte 3: la remise à l'heure

Personnellement je trouve qu'il y a dans ce discours beaucoup plus d'égocentrisme que de scientificité. Je me pose immédiatement la question de la validité de telles affirmations et je la pose à un ingénieur très très bien placé dans les questions relatives à l'électrification mondiale. Sa réponse fait l'effet d'une aiguille dans le joli soufflé pas cuit de notre diva du ciel, la voici:

"Bonjour Madame,

Le problème avec les faux experts est qu’ils peuvent écrire rapidement sans avoir à vérifier leurs dires. Leur répondre est plus long: il faut réfléchir à ne dire que la vérité, ce qui demande des efforts. Je vous signale un livre qui devrait vous plaire: “La démocratie des crédules “ ( PUF)de Gérald Bronner, un sociologue français.

-Sur les économies d’énergie: les 50% gaspillées. Il y a dans le monde des gens qui connaissent le problème, parmi eux les spécialistes de l’American Council for an Energy-Efficient Economy et les chercheurs de l’Union Européenne du Projet Odyssée-Mure. De leurs recherches, il ressort qu’il est très difficile pour un pays, sur le long terme, d’avoir une efficacité énergétique augmentant de plus de 2%/an, toutes choses égales par ailleurs. Peut-être la Suisse dirigée par M. Jesaistout* (*nom d'emprunt) y arriverait. Il aurait  ensuite au moins un Prix Nobel d’économie. Cette inertie de l’utilisation de l’énergie provient du temps nécessaire pour changer équipements et infrastructures. Donc une réduction de moitié de la consommation d’énergie, toutes choses égales par ailleurs, prendrait une génération. Cela irait plus vite avec une grosse crise économique qui appauvrirait votre pays.
-Les rendements: une centrale électrique au rendement de 80%? S’il s’agit d’une centrale thermique, comme le contexte le suggère, cela implique que M. Jesaistout* ignore le second principe de la thermodynamique. C’est n’importe quoi. Ceci étant dit, il est exact qu’une voiture électrique émettra moins de gaz à effet de serre qu’une voiture à essence même si l’électricité est produite à partir du charbon. Mais ce n’est quand même pas l’idéal. Il vaut mieux une électricité non carbonée, comme en Suisse à l’heure actuelle.
-Sur les renouvelables, M. Jesaistout* tient le discours habituel des GéoTrouvetout des concours Lépine permanents que sont aujourd’hui les transitions énergétiques vertes. Géothermie+Eolien+Solaire +hydroliennes+etc... Avec naturellement un stockage de l’électricité. Les ingénieurs, dont je suis, savent tout faire. Nous savons stocker l’électricité, produire avec la géothermie...etc...Mais il y a ensuite la note à payer. Les Allemands payent 25 milliards d’euros par an pour moins d’un quart de leur électricité venant du solaire et de l’éolien. Et suivant le Cabinet Roland Berger et l’université de Dusseldorf la note va augmenter. Les prix de ces énergies baissent? Pourquoi Siemens licencie dans son activité éolienne et l’autre vedette des éoliennes, le Danois Vestas s’effondre-t-il en bourse? Pourquoi le pôle solaire de Total, Sunpower a-t-il vu son cours de bourse divisé par quatre? Tous ces gens vendent à perte. La vérité des prix n’existe pas pour les renouvelables. M. Jesaistout* doit évaluer le coût de ses projets. Il s’agit de la première question à lui poser. Sinon, on retrouvera les pauvres gens à la soupe populaire comme en Australie du Sud. A cause des chimères de bobos comme M. Jesaistout*.

Mon premier poste d’ingénieur relevait de l’acoustique. Je croirai à la baisse du bruit des éoliennes lorsque je lirai les résultats des mesures."
 Fin des éclairages.
Et bien me voici rassurée: mon flaire ne me trompe pas. Plus ils étalent leur savoir comme une évidence que seuls les imbéciles ne comprennent pas, moins ils disent de choses sur lesquelles nous pouvons nous appuyer. La théorie de l'avenir énergétique est dans beaucoup de cerveaux mais ils ne sont pas tous suffisamment musclés pour affronter la taille de l'adversaire. À l'instar de l'Office fédéral de l'énergie qui publiait en grande pompe il y a peu un rapport qui déroulait un tapis rouge devant l'approvisionnement énergétique des 20 prochaines années. Et patatras... l'un des leurs remet tout en question. À lire ici

Décidément, il y a partout des incapables qui nous racontent des salades, et bienheureux celui qui couvrira leurs voix. La mode est aux renouvelables, un os qui nourrit tellement de monde que personne ne veux le lâcher, ne serait-ce que pour y réfléchir. Après eux... ??   ils s'en fichent pas mal.

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