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lundi 15 février 2021

Cette lente agonie de la poésie...

 


Il y a peu j'ai reçu une lettre d'une amie, qui sur l'enveloppe avait inscrit  "Saint-Brais, village sacrifié".

Au début des années nonante quand mon futur mari parlait de son village natal, il y avait dans ses récits une tendresse infinie. Ses alentours n'avaient pas de secret pour lui, il y faisait de longues ballades à travers champs et forêts en souvenir des jours heureux de son enfance:  les enseignements à l'extérieur de"la régente", bien avant que l'on ne parle de l'école de la forêt, habitaient encore son esprit. Les journées à ski avec les gosses du village rendaient quelques pâturages mémorables.  L'épicerie locale que tenaient ses parents avait rythmé leur vie de famille et l'engagement de ces derniers pour les petites associations de Saint-Brais maintenaient le lien et la transmission des légendes du bourg. Il se passait des choses par ici, à l'instar de la quinzaine culturelle, à laquelle chacun avait participé pour la faire rayonner dans toute la région, ou des soirées théâtrales qui rassemblaient les jeunes des environs, etc.

Tant et si bien que j'ai quitté Delémont où j'adorais vivre, pour élever nos filles dans ce qui ressemblait à l'enclave du bonheur...

Ce qui s'est passé ici ces vingt dernières années, je sais bien que c'est arrivé aussi ailleurs. La fin de la communauté en résumé. Le chacun pour soi: les fermetures successives de la laiterie, où se rencontraient les paysans et qui entretenait le lien social entre eux; des guichets de la caisse maladie, de la succursale de la banque, du bureau de poste, Celles plus douloureuses encore de classes d'école. La transformation du monde du travail, obligeant la diversification et la soumissions de plus en plus intrusives aux réglementations et au contrôle a ajouté une couche à l'évolution sociale en marche, menée à la baguette par la course au fric infligée par les lois du marché, comme ils disent.

Le premier sacrifice soutiré à Saint-Brais fut pour la route qui traverse le village. Au moment du remaniement parcellaire dans les années 90, il a été demandé aux propriétaires de céder une partie de leurs surfaces pour participer aux besoins du canton qui promettait de soulager le centre du trafic exponentiel en construisant une route de contournement.

Au moment des travaux de la traversée de Saint-Brais, en 2002, certains aménagements relatifs à la sécurité et à la qualité de vie des habitants ont été mis de côté sous prétexte de cette route de contournement prévue, selon les responsables cantonaux chargés de nous faire avaler ces travaux, en 2017. 

À ce jour, rien n'est fait, pire, on propose au parlement de voter l'agrandissement du tunnel de la Roche, ce qui permettrait aux camion de croiser plus facilement, donc d'être plus nombreux à traverser le village et les Franches-Montagnes, sans rien faire pour améliorer la sécurité au village, sans même nous consulter.

Nous avons ici des trottoirs non réglementaires sur lesquels les véhicules, y compris les camions, se rabattent régulièrement, en roulant, pour pouvoir se croiser, menaçant chaque jour la vie de ceux qui les empruntent, surtout de nos enfants qui n'ont jamais droit à une seconde d'inattention! Mais qui peut demander cela à des enfants???? Et plus bas, loin du centre du village, le canton veut un crédit de frs. 700'000.-- pour faciliter la vie des chauffeurs? Autrement dit, pour sécuriser de la tôle, parce que les conséquences de ces incidents dans ce tunnel ce sont des tôles froissées! Et rien pour protéger les piétons au coeur de leur propre lieu de vie?

Ah! Le progrès devant lequel on nous demande de plier, il a bon dos: pour augmenter le trafic, augmenter la production d'électricité locale, augmenter la sécurité (mais avec des caméras, pas du bon sens) augmenter la productivité, augmenter la consommation, et patati et patata. Ou diminuer: diminuer les coûts, diminuer les prestations des services, diminuer notre emprunte carbone mais sans rien toucher à leurs profits. Pour ce qui est de la prise en considération des dégâts collatéraux, pchit! Il n'y a plus personne. Que des mots, comme "égoïstes" ou  "nimby", portes de sortie de ces handicapés de la tendresse, de ces profiteurs de l'humanité qui courent derrière un progrès utile à leur porte monnaie ou à leur ego.

Je crois que la coupe est pleine là, l'arrivée des promoteurs éoliens m'a démontré le peu de cas qui est fait de nous, riverains, villageois, citoyens, juste bons à faire preuve de docilité, qualifié d'extrémistes dès qu'ils font valoir le respect de leurs droits. Stigmatiser les râleurs pour faire plier l'échine des autres, de ceux qui ne veulent pas d'histoire et qui demandent juste à disparaître dans ce déferlement de conneries.

Si le canton se comporte en promoteur et ouvre les vannes de la Roche sans venir nous rencontrer et prendre avec nous les mesures urgentes pour protéger les piétons de ce village AVANT, il devra affronter les foudres de la grand-mère que je suis, qui tremble chaque fois que ses petits-enfants longent le village ou se rendent chez elle, parce qu'une route monstrueuse a lentement et sûrement creuser son nid devant ses fenêtres, devant sa porte, faisant fi de toute une population, enterrée sous le progrès! Mais elle respire encore cette population. Je l'espère. En tous les cas, aujourd'hui des jeunes familles habitent ces maisons sacrifiées, la grand-mère pourra compter sur la nouvelle génération pour défendre la vie de ces enfants qui, comme nous avons pu le faire, doivent grandir en toute sécurité. Je ne veux pas imaginer que la Suisse, que le Jura, se fichent de cela.

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