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mardi 4 juillet 2017

J'aurais voulu Jeanne...



J'aurais voulu Jeanne que tu voies ton pays avant que ces panneaux imbéciles ne fleurissent au bord des routes: "Nous avons de l'espace pour vous" annonçaient-ils à l'entrée des Franches-Montagnes. Je me disais que oui, nous avions de l'espace et qu'il serait bien de développer un peu la région pour que les gens puissent y vivre et y travailler. Mais j'étais loin d'imaginer quelles sortes d'investisseurs sillonnaient les campagnes...

J'aurais voulu Jeanne, voir venir le danger et soulever ces montagnes pour l'arrêter. 

J'aurais voulu savoir que l'espace dont il était question étaient ces paysages merveilleux qui t'ont vue naître et que ceux qui les convoitaient n'étaient pas là pour ton avenir. 

J'aurais voulu à travers la lutte qui a suivi,  apprécier la démocratie, trouver dans nos autorités l'intelligence, l'engagement et la clairvoyance nécessaires pour empêcher la spéculation d'entrer sur ces terres. 

J'aurais voulu ne pas découvrir le profit, les conflits d'intérêts, la sale besogne des petites mairies achetées, le désintérêt des citoyens et la lâcheté des associations de protection de la nature. 

J'aurais voulu ne jamais savoir que si le Jura chantait sa liberté, il ne la défendait plus que pour de vieilles causes qu'il raconte avec panache, oubliant que ceux grâce auxquels il les a gagné ont dû s'expatrier...

J'aurais voulu Jeanne que tu connaisses ton village sans son bonnet d'âne. Que tu connaisses l'onde bienfaisante qui traverse l'être quand son regard ne butte sur rien d'autre que la beauté naturelle.

J'aurais voulu que tes racines aient un sens, que la rude simplicité des Franches coule dans tes veines, que le savoir faire des anciens te sois transmis pour que tu puisses à ton tour te sentir d'ici et puiser la force de vie de ces montagnes libres.

J'aurais voulu Jeanne t'épargner les pâturages sous surveillance caméra. Les compteurs intelligents pour contrôler tes éco-gestes, la multiplication des antennes et des lignes à haute tension et autres "joyeuseries" que certains appellent "un peu de modernité dans notre patrimoine naturel" ...

J'aurais voulu vieillir et te regarder grandir avec confiance. 

Je le ferai quand-même. Je t'apprendrai à regarder au-delà de leur chemin tracé. À accueillir la force d'un arbre. À sonner la cloche de la Bosse, puisqu'à Vernois Big Brother a pris ses quartiers. Je te raconterai les fleurs d'Yvonne, les poules de Jacky, les petits chats en été. Ton grand-père te racontera les fruitiers de sa grand-mère, les secrets des abeilles et de leur miel doré. Nous passerons au jardin le soir manger les fraises, cueillir les tomates, sortir un poireau. Nous regarderons le paysage au-delà des injures qu'ils lui promettent. Nous monterons au grand-rocher, nous tournerons le dos aux deux monstres d'acier, nous traverserons ce rideau de pales qu'ils menacent d'ériger entre nous et les Alpes, nous imaginerons la vue d'autrefois et nous poserons nos rêves sur les cimes lointaines, libres!

N'oublie jamais d'où tu viens Jeanne. Ne considère jamais comme normal de trouver des éoliennes industrielles dans une forêt, sur un pâturage boisé des Franches-Montagnes ou sur n'importe quel  site naturel. N'accepte pas non plus la colonisation des Océans, revendique le droit de te tenir debout face à leur immensité sans avoir à biaiser le regard pour avoir accès à l'horizon, dusses-tu parcourir le monde pour le faire ne serait-ce qu'une fois! Sentir la force de leurs vagues c'est reconnaître la puissance de la liberté.

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