"Tu sais que nous produisons déjà davantage d'énergies renouvelables que nucléaire dans le monde?"
En voyant sa tête je vois bien que non il ne le sais pas. Il veut tourner un film sur cette transition énergétique qui mettrait en scène de manière burlesque un méchant promoteur affamé d'argent, un gentil vert plein de bonnes intentions et un vieux anti-éolien qui refuse la modernité dans son paysage... De toute évidence il est venu chercher chez nous l'inspiration du troisième personnage. Après deux bonnes heures d'entretien avec mon mari je vois bien que ses convictions ont été ébranlées mais que le morceau est trop gros pour lui. Il pensait se retrouver devant un problème de génération et il se retrouve confronté à un problème politique et économique qu'il n'avait pas soupçonné.
Cela m'a rappelé mes débuts dans cette galère. Entre le projet de Saint-Brais qui ressemblait à un futur dont nous rêvions tous et la réalité qui nous a plongé au coeur de ce que le capitalisme offre de pire, beaucoup d'eau a coulé. Lorsque je dis à ce jeune homme que dès que j'ai mis le nez dans la politique énergétique je ne l'ai plus ressorti, il a ces mots: " une obsession?" Je le regarde amusée, il est déjà formaté par l'opinion publique. Je lui réponds: "Une passion". Nouvelle expression de surprise. Comment peut-on se passionner pour la politique énergétique via un voisinage d'éoliennes semble-t-il se dire. Je tente de lui faire comprendre que j'ai plus appris sur le système dans lequel nous vivons en 7 ans de lutte contre les éoliennes industrielles qu'en 50 ans de vie, mais au fond je vois bien qu'il est encore loin, très loin de pouvoir assimiler tout ça.
Je repense à ces grecs, aussi jeunes que lui, meurtris jusqu'à l'âme, confrontés autant à la montée du fascisme qu'aux compagnies d'électricité. Ces dernières convoitent les terres de leurs parents pour y implanter des éoliennes géantes, avec l'arrogance de guerriers vainqueurs. Sauf que la guerre, ces jeunes ne l'ont pas faite, elle s'est faite ailleurs, dans des livres de comptes truqués avec lesquels ils n'ont rien à voir. Aujourd'hui ils paient les conséquences des magouilles entre les grandes banques et le pouvoir corrompu. L'acquisition des connaissances et la prise de conscience ont été autrement plus violentes que pour moi: à 25 ans ils doivent défendre leurs lieux de vie devenus monnaie d'échanges dans des traités commerciaux européens et empêcher le fascisme de faucher leur jeunesse. Face à la leur, mon expérience est toute petite, mais nous nous comprenons.
Le tout jeune homme en face de moi aujourd'hui est à mille lieux de cette réalité qui se dessine bien-au-dessus de son environnement quotidien. Je lui montre un graphique de notre consommation mondiale d'énergie et un ange passe, le sien sans doute, qui emporte la vision d'un monde où le seul danger s'appelait nucléaire, et la seule solution s'appelait renouvelable...
Notre jeunesse aura le réveil bien cruel.
J'avais promis de publier l'intégralité de l'émission de radio tournée en Crète pour "Tout un monde" diffusée le 3 novembre dernier, la voici:
J'avais promis de publier l'intégralité de l'émission de radio tournée en Crète pour "Tout un monde" diffusée le 3 novembre dernier, la voici:
Dans le café du village, un seul sujet domine les conversations : Les éoliennes et les expropriations des terres menées tambour battant depuis 5 ans maintenant, en toute illégalité selon Yanis, retraité : "Ils nous ont pris nos terres sur la base d’une vieille loi qui décrète qu’au dessus de 900m d’altitude, l’exploitation de la terre est interdite. Même pas laissé faire. On a fait appel et il m’est arrivé d’entendre le juge dire à un homme qui présentait ses titres de propriété : ça tu peux les mettre à la poubelle. Ils ont affiché les expropriation, écoutez-bien, à la mairie de Acrotiri, c’est à dire à 80km de Roumata, en bref, on n’a rien vu venir !"
Les éoliennes on les entend avant de les voir… 18 implantées sur un flan de montagne et trois autres tout près du village. Le champs de Costas est à deux pas, il a livré bataille, corps et âmes :
"durant 2 ans la région était quadrillée par la police, les forces anti-émeutes étaient tous les jours dans la rue, il régnait un terrible terrorisme d’état et des actions judiciaires à tout bout de champ. Chaque manif j’étais emmené. On m’a traduit 10 fois en justice"
Le gouvernement défend son projet au nom de l’énergie verte. Une théorie remise en cause par Flora Padeve, de l’AVI la générale électrique grecque :
"Pour que le réseau électrique fonctionne parfaitement, il faut que la demande fonctionne exactement à la production à tout instant sinon c’est le Black Out. Si le vent s’arrête qu’est-ce que tu fais ? Tu te reportes aux centrales conventionnelles! Les éoliennes ne peuvent fonctionner sans centrales électriques conventionnelles."
Pour cet ingénieur militant de passage en Crète, le plus gros scandale est le coût de cette énergie: "300 euros, c’est ce que paye chaque année une famille de 4 personnes pour financer ces éoliennes. Le coût total est monstrueux, il est de 6 milliards d’euros !"
De retour à Athènes, nous avons interrogés le secrétaire d’état à l’énergie. Il semble découvrir le problème:
"En ce qui concerne les expropriations, je ne suis pas le plus à même pour répondre. Mais où est le mal avec cette technologie qui utilise la force éolienne que nous avons, pas vrai? Car nous n’avons pas de pétrole, pas de gaz naturel. D’autres pays en ont, et on n’a pas et on ne veut pas avoir d’énergie nucléaire. C’est une technologie rôdée, pas chère et si tu l’utilises précautionneusement vis-à-vis de l’environnement elle est très bénéfique."
Même ignorance affichée par la société EDF, le plus grand investisseur en Crète, qui malgré nos nombreuses demandes n’a jamais voulu nous recevoir, pas plus que ses nombreux représentants en Grèce :
"Bonjour Madame, notre problématique c’est l’enjeu économique , écologique des éoliennes en Grèce. Nous avons découvert ce qui se passe en Crète, mais moi il faut impérativement que j’aie aussi les gens qui expliquent pourquoi eux pensent que les éoliennes c’est bien, c’est propre, ça créé des emplois, enfin bref… « D’accord, et puis je je vais surtout me renseigner là-dessus parce que vous savez nous on est en France et que du coup, enfin moi j’avais pas connaissance de ça. Donc voilà, je vais joindre les équipes sur place pour voir ce qu’on peut faire. Voilà »
EDF Grèce ou France ne nous ont jamais rappelé. Cela n’étonne pas Georges Kristofoliris constitutionnaliste … dont les bureaux sont en plein centre de Athènes. « Il n’y a pas de violation de la loi, car tous les pays membre de l’Union européenne ont changé de façon universelle leur loi. Ce n’est donc pas une question de violation de la loi. Nous on dit que c’est une violation de la constitution qui elle nous dit qu’il faut protéger notre environnement. Comment peux-tu prétendre protéger l’environnement quand tu rases les forêts pour implanter ces monstres? Qu’ils entrent donc dans les forêts et nous disent moi je protège la planète ? Donc ils détruisent tout et on ne peut rien faire et personne ne peut les contrôler ? Dès lors nous sommes obligés, au 21ème siècle de nous battre pour ce qui va de soi : Notre terre, l’eau et l’air."
Pour cet avocat, le pire est à venir : « Ces éoliennes ont une durée de vie de 25 ans, passé 25 ans que va-t-il arriver avec les tonnes de ciment restés dans les montagnes ? Ce sera notre dot post industrielle, des monstres rouillés."
Plusieurs procès sont encore en cours, mais les crétois n’y croient plus vraiment. Une fois le micro fermé, tous, sans exception, nous confirment qu’ils ne reculeront devant rien pour sauver leur terre. Il y a quelques mois les éoliennes débarquées sur le port de Helarcinom ont été renvoyées sur le continent manu militari. Pourtant 10'000 éoliennes sont toujours prévues en Grèce dont des centaines en Crète.
Angelique Kourounis
Palia roumata
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