dimanche 10 juin 2018

Un espace de paix

Je les regarde assis les uns éloignés des autres. Ils enterrent l'un des leurs, le troisième déjà sur les sept qu'ils étaient. Des frères et des soeurs que la vie a giflé bien vite: ils avaient entre 11 et 25 ans quand ils se sont retrouvés seuls au monde, orphelins de père et de mère. 


Plus tard dans mon lit, j'ai repensé à cette scène, cette fratrie qui ne se voit presque plus et qui enterre les siens avec si peu d'émotion apparente, qui se parle de tout, sauf de ce qui la réunit là aujourd'hui. Et pour cause...

Il y a ce film qui raconte les relations qu'entretiennent les arbres dans une forêt originelle où l'arbre nourricier alimentent les siens dispersés un peu partout, sans oublier au passage d'assurer le ravitaillement de ceux qui ne sont pas de "sa famille", ni, surtout, la souche du vieil arbre abattu qui diffuse encore son précieux savoir aux jeunes générations.

Je ne suis de loin pas une adepte de la famille traditionnelle à tout prix, à mes yeux la famille n'a ni genre ni religion. Je crois aux histoires d'amour et de liens,  au vivant qui rassemble et qui protège, humains, animaux et même végétaux comme on le découvre de plus en plus. 

Ce qui a manqué à cette famille pour pouvoir pleurer ensemble ce frère disparu, c'est l'arbre nourricier, celui qui aurait dû continuer de tisser entre eux les liens rompus par la mort des parents. Celui qui fait circuler la communication entre hier et aujourd'hui.  Dispersés, déconnectés les uns des autres, ils ont tant bien que mal recréé leurs propres familles et quand ils se retrouvent tous ensemble, c'est un peu comme si on avait déraciné leur souche familiale, il leur manque un bout de leur histoire.

Si je vous raconte tout cela, c'est parce que notre relation à la terre et à la nature ressemble aussi à ça.  Si j'apprécie sous mes pieds la dureté du caillou ou la tendresse de la mousse sur un sentier même inconnu, si j'enlace, reconnaissante, un tronc dont la cime se balance loin au-dessus de ma tête et qu'il me donne un vertige heureux,  si je suis des yeux fascinée le tracée de l'eau qui dévale une montagne et que j'assiste muette à sa puissance lorsqu'elle retrouve sa liberté  dans la vallée, c'est parce que la souche m'a toujours nourrie: chaque jour j'ai la chance de voir et d'aimer un paysage qui m'a vue naître. Sa présence alimente le lien et m'ouvre à d'autres paysages et me rend aussi responsable quelque part de leur sauvegarde.

Quand des verts citadins parlent de mettre des éoliennes industrielles en forêt, qu'un pays tout entier élève au même rang énergies renouvelables et paysages protégés pour pouvoir y installer ces mêmes machines, sans compter tout le reste: toutes ces luttes devenues intestines, ces pouvoirs devenus abusifs, la pauvreté des débats politiques etc.. je réalise que le déracinement des souches est une tragique réalité qui ne concerne pas que les arbres. Comme cette famille, l'humanité semble avoir perdu le lien, suspendue entre un monde qui la dépasse et un vide sidéral.


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