vendredi 11 avril 2014

Quand la mort s'en mêle...

Bruegel, le moulin et la croix

En février j'ai reçu un message en réaction à ma lettre ouverte à la présidente des Verts neuchâtelois dans le Courrier. L'auteur de ce message ne m'étais pas inconnu et je l'estimais particulièrement pour sa sensibilité, son intelligence du coeur et son engagement. Je l'avais rencontré aux Universités d'été d'Attac* Suisse, il en était devenu le secrétaire général.

 Après l'avoir lu, je me suis dit que bon sang, tout ce que j'avais envoyé aux secrétariats des associations et groupes politiques  depuis le début de mon engagement en faveur des paysages contre les vendeurs de vent était vain. Que jamais ils ne  prendraient position contre ces énergies renouvelables que l'industrie nous impose là où seule la nature devrait régner. Le mépris avec lequel étaient traitées les riverains ici et dans le monde ne semblait pas plus les toucher. La dimension que Rémy apportait à sa perception des choses dans son message était d'une autre nature, il était sincère et il avait réfléchi à la question. Pour la première fois je me suis dis, c'est fichu, jamais ils ne nous soutiendront, nous avons passé un cap qu'ils ne franchiront pas.

J'aurais pu prendre acte et renoncer à poursuivre mes tentatives pour le convaincre d'ouvrir les yeux, mais lui je le connaissais, je l'estimais et je savais qu'il avait une qualité rare: Il était ouvert.

Je me suis redressée devant mon écran et j'ai décidé de lui écrire avec mon coeur sans  aucun autre objectif que d'une fois pour toute argumenter ma conviction. Sans limite de mots, je n'avais même pas l'idée qu'il me lirait, je ne me suis pas donnée la peine de référencer mes sources en pensant sans y croire, que comme moi il irait les chercher en cas d'intérêt. 

 Ma confiance est mise à mal dans cette lutte envers ceux que je considérais comme mes alliés contre ce monde pourri: Les socialistes, le POP, les verts, SolidaritéS, Greenpeace, WWF, etc... Leur prise de position officielle en faveur des éoliennes industrielles ne sont que des cartes blanches qu'ils distribuent à ceux qu'ils prétendent combattre. Avec les arguments de Rémy j'ai pris conscience de la direction qu'avait pu prendre les convictions des plus sincères d'entre eux et du chemin à parcourir pour un éventuel changement de cap...

J'ai écrit, d'une traite, tout ce qui faisait que je luttais contre l'industrialisation de mon environnement, même sous la menace du nucléaire.

Quelques heures plus tard il me répondait. J'en suis restée scotchée, pas une seconde j'avais imaginé cette réponse-là: Il m'avait lu, je l'avais convaincu et il me demandais un article pour le journal Angles d'ATTAC.

Cette marque de confiance m'a profondément touché. Il a lu, il a fait l'effort de changer son point de vue et il m'a demandé un article sans m'imposer une limite de signes!

ATTAC vient de perdre une personnalité hors du commun, de celle qui ne se laisse pas enfermer dans un dogme, de celle qui garde le coeur ouvert, l'esprit libre, l'oreille attentive. De celle que l'on respecte et avec qui échanger veut encore dire quelque chose. 

Merci Rémy d'avoir redonné ce coup de pouce à ma motivation, comme un dernier signe puisque tu viens de mourir... Des gens comme toi m'ont tellement manqué dans cette lutte. Tu es apparu au moment où je m'y attendais le moins et tu disparais aussitôt. Mais je ne me laisserai pas envahir par le vide que tu laisses. Promis. Tu as donné du sens à mon entêtement.

Je vais publier ici ton courriel, ma réponse et à dans la marge de droite il y a l'article  dans le dernier numéro d'Angles d'ATTAC de mars 2014 auquel j'ai eu l'honneur de participer à tes côté.

Une manière de te garder présent pas trop loin de ma lutte et de me rappeler que même dans le découragement il faut continuer d'argumenter avec conviction.

Courriel de Rémy, du 25 février 2014:

Salut Pascale,

Je te remercie pour ton courriel et en profite pour t’indiquer l’adresse à laquelle tu dois envoyer tes courriels.

J’ai également lu ton article qui est parue la semaine dernière dans Le Courrier et qui était adressé à une dirigeante des Verts.

Je me permets quelques remarques et compléments:

- si, sur le fond, je rejoins totalement ton point de vue qu’il ne faut pas laisser accaparer les terres par les grandes entreprises, je suis fondamentalement réaliste-pessimiste et je pense que le pire qui va nous arriver dans les années qui viennent, c’est l’explosion d’une des centrales nucléaires suisses, françaises ou d’un autre pays européen. Il ne s’agira plus d’accaparement des terres par le monde capitaliste, il s’agira, pour les survivants non cancéreux et/ou brûlés de charger au maximum sa voiture et de quitter le pays pour s’éloigner le plus possible de la zone définitivement contaminée (200-300 km de diamètre, c’est plus de la moitié de la Suisse). Nous en sommes réellement là, les centrales suisses et françaises sont devenues des passoires et ne tiennent debout que par des bouts de ficelles. Comme l’ont démontré les catastrophes de Tchernobyl et de Fukushima, nos pays capitalistes ne sont pas prêts de faire marche arrière au niveau énergétique avant 30, 40, ou jusqu’à la prochaine catastrophe justement. Les enjeux stratégiques et militaires (fabrication de nouvelles bombes atomiques pour la dissuasion des pays pauvres) et économiques (le démantèlement des centrales sera mis à la charge du contribuable, donc non riche, en fonction du système fiscal actuel qui ne concerne pas les riches capitalistes, les grands banquiers ou industriels ni leurs entreprises transnationales) empêchent simplement le tournant énergétique. La facture du démantèlement des centrales provoquerait une dégradation totale des services publiques et une austérité qui pousserait la majorité dans la pauvreté et le dénuement.

- de plus, une très large partie de la population n’est prête à aucun sacrifice en matière d’économie d’énergie, il suffit de regarder ce qui se passe autour de soi et même en comptant ce que chacun de nous consomme dans sa belle maison ou son bel appartement, durant ses vacances parfois en avion, durant ses voyages de travail, etc.

- reste donc les énergies alternatives, qui ne sont malheureusement pas prêtes de se développer pour quelques simples raisons, en plus du problème du coût et des sacrifices qui seraient demandés comme écrits ci-dessus: le lobby pétrolier et nucléaire empêche une prise de conscience des risques nucléaires ou d’effet de serre et un refus de tout développement alternatif de la part de gens dont tu fais partie qui pérorerait totalement le paysage naturel par l’implantation de machines éoliennes énormes, de champs de photovoltaïques dont la fabrication n’est ni écologique ni durable, de barrages hydrauliques qui empêchent la vie des cours d’eau s’ils sont trop nombreux ou mal gérés ou de forages géothermiques non maîtrisés.

- la situation est complexe comme toujours lorsqu’il s’agit de la survie de l’humanité; en tenant compte de ce qui précède, les « mouvements de gauche » qui ne sont pas inconscients, insouciants, incompétents, fainéants ni même fatalistes ou électoralistes pour la plupart, s’attaquent aux problèmes cités de différentes manières. Pour attac, il s’agit de forcer le tournant fiscal pour se donner les moyens de prendre le tournant énergétique. De plus, il s’agit pour nous comme pour les Verts, de former une part importante de la population à l’idée qu’il faudra faire de grands sacrifices pour supprimer la pollution mortifère que notre mode de vie génère. Pour la plupart des mouvement de gauche enfin, sans le parti socialiste-libéral s’entend, la transformation du monde en un autre monde possible, solidaire et écologique ne se fera pas sans une sortie rapide du système capitaliste dominant actuel. Utopique? Non, car aucun système politique et économique ne survit tel quel dans le temps, par les inégalités qu’il génère, par la corruption qu’il ne manque pas de légaliser et par la déchéance sociale que cela amène. 

- en conclusion, le passage par une dégradation du paysage, qu’il faut imaginer passagère car les éoliennes ou les photovoltaïques sont aisément démontables en comparaison d’une centrale nucléaire, du fait de la production d’énergie renouvelable et plus écologique semble rationnellement urgent face à une catastrophe nucléaire définitive.

J’espère que ces quelques éléments te seront utiles pour la suite de ta réflexion et ton combat pour plus de justice et un une nature sauvegardée, ce que je souhaite également de tout mon cœur. Parole de marcheur invétéré.

Je t’embrasse et te souhaite une belle journée ensoleillée.

Amicalement,
___________________________
attac suisse
Rémy Gyger, secrétaire général

Ma réponse:

Salut Rémy,

Je te remercie de ton courriel qui ne me laisse pas indifférente. Je partage ton pessimisme mais pas ton optimisme. Je ne pense pas que les éoliennes vont jouer un rôle déterminant dans la sortie du nucléaire. Leur production réelle est de 25%, au maximum, de leur production installée, cette production descend à 11% après 15 ans d'utilisation selon une étude récente sur 3000 machines installées en Angleterre. Les impacts sur l'homme et la nature sont énormes parce qu'ils touchent les zones jusqu'ici préservées. Leur production aléatoire fait que pour chaque éolienne installée il faut prévoir une autre centrale de production (gaz ou charbon). En Allemagne on connaît déjà le déplacement des populations pour la construction de mine de charbon. On connaît déjà la précarité énergétique, en Espagne aussi pour des milliers de citoyens. Pourtant les éoliennes ne manquent pas. Seuls les ménages paient la transition énergétique, les industries se servent sur le marché ouvert à des prix sans concurrence et ne paient pas les subventions pour les énergies renouvelables. Etc, etc...

On nous vend la transition énergétique comme on nous a vendu le nucléaire sans aucun doute, des demi vérités et de gros mensonges.  Le marché dicte ses règles et elles n'ont rien à voir avec la sortie du nucléaire. On construit des champ d'éoliennes là où la consommation d'électricité est moindre voir nulle. On pousse des populations hors de leur terre pour les forcer à rejoindre la masse et devenir à leur tout des consommateurs. On transforme leur région en centrale de production d'énergie et pendant qu'on y est on construit des supermarchés  et des mosquées (Turquie) parce que les énergies renouvelables sont un excellent prétexte à la colonisation non seulement des terres mais aussi des peuples insoumis. Là où l'on obtient facilement des permis pour des constructions d'éoliennes on ouvre la voie au reste, raison pour laquelle l'industrie du béton talonne l'industrie du vent.  C'est aussi une fuite de capitaux considérable du public vers le privé par toutes sortes de manières.

L'Inde et la Chine ont construit des milliers d'éoliennes, aujourd'hui, comme les USA, l'Allemagne ou l'Espagne, elles abandonnent leurs subventions: résultat des champs d'éoliennes abandonnée et la construction de nouvelles centrales nucléaires, exploitation de gaz de schiste etc. Même l'Allemagne a un gros chantier en route dont l'objectif est d'importer l'énergie nucléaire russe pour ses entreprises.

À mon sens il faut être intransigeant. Il faut obtenir les changements avant d'autoriser la continuité. Pour cela il faut lutter contre la désinformation, supprimer les aides de l'état aux sociétés privées, favoriser les développement de projet locaux et citoyens pour la production d'énergie renouvelables, donner d'autres objectifs que la possession des biens à la population. La société à 2000 watt telle que se la représente les verts est extrêmement sélective et ne se fera que pour une partie de privilégiés. Elle ne tient déjà plus compte de bon nombre de citoyens écartés du gâteau: des villes modèles avec des éco quartiers et des loyers impayables, des campagnes "poubelle" pour les exclus ou télétubbies pour les touristes?

À force de tirer son épingle du jeu, la Suisse pense aussi pouvoir construire une société écologiste à l'abri des tempêtes nucléaires (ou autres) de ses voisins. Pourtant le feuilleton SIG Ennova nous montre qu'elle doit compter avec les mêmes requins, que sa transition énergétique est déjà un mensonge et qu'elle est déjà récupérée à d'autres fins.

En ce sens je ne comprends pas le manque d'exigence, de transparence aussi des verts (leur programme énergétique est irréalisable, mais ils en contournent les points faibles. Leur objectif voitures électriques pour tous est un conte de fée) .

Tu as lu l'article sur la Grèce?

Craindre l'explosion d'une centrale? Mais à quel prix? Quel prix je suis prête à payer pour éviter le pire? C'est quoi le pire? L'exploitation de mes peurs pour me faire accepter des règles qui ronge l'humanité?

La nature c'est notre force, si tu vivais proche d'une centrale éolienne tu en saisirais le danger qu'elle représente. Certes pas aussi concret que celui d'une centrale nucléaire. C'est un autre danger, plus subtile, qui relève de l'être et de sa relation à la nature. Cette relation qui nous aide à tenir le coup et nous donne la force de résister au-delà du raisonnable parce qu'elle est le lien avec la vie. Si je n'ai pas ce lien de quel avenir à préserver je peux parler pour mes enfants? Cela n'a aucun sens. Ou alors nous acceptons le monde de Globalia...

Soyons ambitieux pour notre avenir. Sans nucléaire un autre monde est possible, pas besoin d'accepter leur solution.

Cela m'a fait plaisir de te lire Rémy. Je garde d'excellents souvenir des universités d'été d'ATTAC, premier éveil pour moi au danger de la privatisation des services. Cela ne m'a jamais quitté. Je crois que c'est là que j'ai ouvert une porte que je n'ai plus pu refermer.

Bien à toi.
Pascale



Attac: Association pour la taxation des transactions financières et pour l'action citoyenne1

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