La vie nous fait entrer avec plus ou moins de succès dans les moules adaptés au milieu social dans lequel le hasard nous a fait naître. Certains s'y adaptent parfaitement, d'autres dépassent les limites pour toutes sortes de raisons, que parfois la raison ignore d'ailleurs.
Je pense à des gens comme Nelson Mandela, Ernesto Raphael Guevara, dit le Che, Rosa Luxemburg, Hannah Arendt, Gandhi, Ahmad Shah Massoud, Victor Jarra... Presque tous ont payé de leur vie leur engagement contre l'injustice, le pouvoir autoritaire, la violence ou pour l'honnêteté intellectuelle et la paix... Ils ont été enfermés, assassinés, discrédités mais paradoxalement ils sont restés les héros, les modèles de cette société qu'ils ont servie et qui la plupart du temps s'est rangée derrière le pouvoir de ceux qui les ont détruits.
J'ai toujours été fascinée par leur détermination. Bien avant d'être moi-même témoin impuissant de l'injustice, bien avant d'avoir vécu de l'intérieur, toute proportion gardée, le processus qui entraîne l'exclusion de ceux qui débordent du moule, de ceux qui n'acceptent pas les règles imposées à une majorité apeurée, impuissante, manipulée ou simplement ignorante et docile.
Je l'ai toujours dit, ici à Saint-Brais, lorsque nous avons commencé de nous battre contre le parc éolien, nous avons déclenché immédiatement des réactions de haine et de mises à l'écart. Pas d'écoute, pas d'invitation à la discussion comme cela aurait dû se faire. Le terrain s'est avéré miné, la chasse gardée, dès les premières critiques.
Mais aussi, heureusement, il y a eu des manifestations de soutien, des alliances. Certaines ont été franches et durables. D'autres n'ont pas tenu. À tel point que, par exemple, un voisin est venu nous demander de déplacer la ficelle du coin de la banderole anti-éolienne que nous avions attachée sur le piquet de sa barrière jouxtant notre terrain... La manifestation durait une demie journée! Ce voisin qui avait commencé par nous soutenir s'était rallié à la majorité silencieuse et docile par crainte d'être associé à notre prise de position affichée.
Notre action alimentait les discussions des villageois et autres badauds réunis en haut du village pour voir passer le tour de France. Nous étions des imbéciles, des semeurs de troubles, des cons, j'en passe et des meilleurs. Les gens faisaient un détour devant notre maison de peur d'être vus avec nous.
Sur notre banderole il était écrit "Non aux éoliennes"... Pas "mort aux vaches" ni: "Trop de tricheurs sur deux roues" ou je ne sais pas moi, une phrase qui remue, qui agresse.... C' est un "non aux éoliennes" qui a fait des membres d'une famille honorable du village des exclus dont on se gausse, mais jamais en face, et contre lesquels tout devient permis. Les membres du conseil Communal ont montré le chemin et peu ont osé s'en offusquer. La loi du silence s'est installée contre un espèce de confort préservé.
Vous comprenez pourquoi il est si facile de dire dans la presse, comme le fait Suisse Eole, que la majorité des gens sont pour les éoliennes? Pourquoi on entend sans cesse que si "on explique aux gens" il n'y a plus de résistance? Il y a surtout beaucoup de couilles molles. Et la haine vient directement de la honte d'en être.
Ce sont ces réalités qui ont engendré la persévérance de mon engagement. Je ne serai jamais ni Nelson ni Rosa. L'adversité n'est pas aussi terrible que celle qui les a porté au sommet de leur capacité de résistance. Mais je puise dans leur exemple la force de défendre mes convictions. Mais pourquoi? Qu'est-ce qui déclenche la sortie du moule?
En lisant un passage du livre "1 rue des Malvoisins", entretiens avec Pablo Cuttat, Tristan Solier, aux éditions des Malvoisins, j'ai lu comment de citoyen(ne) on devient rebelle.
Je vais partager cette histoire, extraite des mémoires de l'artiste qui, à 90 ans et peu avant sa mort, revient sur un épisode de sa vie, celui de la résistance à la place d'armes de Bure en 1957. Ceux qui sont actifs dans la lutte contre les éoliennes vont vite se rendre compte que bien que "libéré" le Jura n'a pas changé les méthodes.
Bonne lecture.
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énorme surface de terre pour la place d'armes de Bure. mille hectares selon ce reportage: http://www.canalalpha.ch/emissions/jurashow/jura-show-le-major-edouard-vifian-est-linvite-du-jura-show/
RépondreSupprimerMais ... ça ne se voit pas à 20km à la ronde comme ces éoliennes industrielles.
Non c'est sûr. Ce qui m'intéresse ici est à la page 86. Tristan Solier est un officier, son engagement contre la place d'arme surprend son interlocuteur. Et l'artiste répond: "ça m'étonne encore, mais mon engagement a été une question de tripes." Voilà d'où part cette résistance hors du commun, celle qui nous pousse à sortir du moule. Même les plus ancrés dans les valeurs d'un système comme l'était finalement Solier. Comme nous étions pour les énergies renouvelables et pour les éoliennes. Si les émotions sont autant exploitées ce n'est pas pour rien, elles sont un moteur redoutable qui peut nous mener jusqu'à la révolution.
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