dimanche 28 mai 2017

La gueule de bois



Le travail fut pour moi longtemps un accessoire de l'existence.  Il payait mon loyer, remplissait  mon frigo, me permettait de voyager de temps en temps. Tant qu'une place me plaisait je restais. Quand la lassitude s'annonçait je partais. Mon travail n'était pas un sujet, il était un moyen.

Ma première rencontre avec les ambitieux, c'était en 1990. Un groupe composé de mecs entre 30 et 50 ans lançait une agence de communication. Je fus leur première secrétaire. Des mâles chics qui se la pétait, c'était ce à quoi il me semblait assister chaque jour de mes trois mois d'essai. J'étais loin d'imaginer que la norme c'était eux, pas moi. L'entretien d'embauche aurait dû me mettre la puce à l'oreille avec ces questions débiles du genre "dites-nous pourquoi nous devrions vous engager vous plutôt qu'une autre"et tout ce baratin qui aujourd'hui empeste le monde du travail. Jusque là j'avais été épargnée par ces guignols qui fonctionnent avec des codes, s'habillent pour paraître honnêtes et ne pensent plus qu'en terme de réussite et de bénéfices. Embrasser leur monde eut été renoncer au mien. J'aurais sans doute réussi, l'homme s'adapte. Mais je n'ose imaginer l'état dans lequel je serais aujourd'hui sous cette couche de mascarade...

Je repense à tout cela ce matin, parce que la mort de deux acteurs majeurs de la politique éolienne dans le Jura me pose question.

 L'une m'avait auditionnée pour le poste de "Monsieur Energie" mis au concours par le Canton. J'y avais postulé par provocation et la cheffe de service fraîchement élue avait joué le jeu en me convoquant à l'entretien. Elle fut à la hauteur. On sentait le prestige tout frais de sa nomination dans chacune de ses phrases et chacun de ses gestes. Je n'ai pas rencontré une femme mais une employée supérieure qui jouait son rôle. J'ai eu l'occasion de la revoir plus tard, toujours affairée à paraître et à défendre une cause qu'elle avait faite sienne par la magie de l'emploi: le développement éolien. Son enveloppe de cheffe y était plus épaisse, l'autorité avait largement pris le dessus au détriment de l'écoute. Mais le masque semblait fatigué.

L'autre avait largement donné sa vie à sa carrière. Peu devaient encore utiliser son prénom tellement il avait mis de l'énergie à se faire un nom. De son bureau il gérait le pouvoir de sa fonction et dans la rue il y semblait toujours assis. Il m'a cassé les pieds parce qu'il n'en avait rien à faire des paysages qu'il prétendait gérer: ils étaient devenus sa monnaie d'échange, son sésame professionnel, sa carte de visite, son business quoi. Une jeune architecte du paysage était venue le trouver pour lui  proposer d'élaborer la stratégie d'implantation d'éoliennes industrielles dans le Jura en collaboration avec le Canton de Berne pour en limiter l'impact. Il avait eut cette phrase surréaliste: "Vous savez, les jurassiens, ils s'en fichent des paysages" et avait pris congé d'elle. Il a tenté d'imposer sa vision des choses jusqu'au bout... On ne saura jamais quel maître exactement il a servi. Mais on sait que son fils est à la base de la première étude de faisabilité de parcs éoliens dans le Jura, bien avant que les citoyens ne se posent la question de leur développement, bien avant la visite de la jeune architecte... Il a porté ce concept de tout le poids de sa fonction et au-delà encore.

Souvent je repense à ces deux interlocuteurs aujourd'hui disparus et avant l'âge... Tout ça pour ça? Doit-on vraiment se déguiser pour faire tourner le monde? Faut-il vraiment emmerder les autres pour garder son titre, étendre son pouvoir? Nous savons tous qu'un jour la mort nous arrêtera.

Je crois que je suis fâchée avec eux. Fâchée du mal qu'ils se sont donnés pour réglementer le monde à leur image ou pour se réglementer à l'image d'un certain monde... 

Les Crêtes du Jura sont suspendues à la ronde de ces masques qui se relaient pour les détruire durablement avec le reste.

Que l'on soit d'accord ou pas avec ce cirque n'est plus la question. La question est de savoir comment nous faire tous entrer dans le moule et de nous y serrer au point de nous ôter toute indépendance de mouvement et d'esprit.C'est exactement cela que dit Isabelle Chevalley dans cet article de 24h: «Même à 50,0001%, un oui est un oui!". 

La votation sur la stratégie énergétique de dimanche dernier a déplacé en moyenne 40 et quelques % des ayant-droit, voici donc le genre de démocratie qui réjouit cette politicienne? Je comprends mieux pourquoi elle disait toujours que 90% des citoyens voulaient des éoliennes: l'avis de ses proches devait lui suffire pour diffuser ses bruyantes statistiques.


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