L’OTAN en
pleine cacophonie énergétique, tiré ici
Le monde de l’énergie est plus divisé
que jamais parce que ce ne sont plus de décisions rationnelles basées sur le
prix et la transparence qui prévalent.
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Par Samuele Furfari.
Il y a des jours où
les grandes décisions s’entrechoquent. Ces 11 et 12 juillet 2018 ont été riches
en évènements et ont mis au jour la cacophonie qui règne parmi les membres de
l’OTAN en matière de politique énergétique.
Si le dossier le plus
chaud et le plus médiatisé a été celui du financement du budget de la défense
des pays membres, la question énergétique était non moins présente. Les prises
de positions, parfois exprimées dans un langage peu diplomatique, ont démontré
que chacun fait ce qui lui plaît en matière d’énergie. Comme le précise
l’article 194.2 du Traité de Lisbonne, même au sein de l’UE les États membres
ont le choix de leur bouquet énergétique, ce qui implique une non-ingérence de
la part de Bruxelles ou des États voisins. Les intérêts économiques en jeu sont
si importants que lorsqu’on y ajoute d’autres informations en matière d’énergie
comme celles qu’on a entendues ces derniers jours, on est en droit, me
semble-t-il, de parler de cacophonie.
Le président Trump s’en
est pris vertement à l’Allemagne qui entend construire une deuxième connexion
gazière directe avec la Russie à travers la mer Baltique, allant jusqu’à
accuser Berlin d’être « aux mains de la Russie ». Le projet de
gazoduc Nord Stream, d’une capacité de 55 milliards de m3 par an et
opérationnel depuis 2014, a été porté par les gouvernements russe et allemand
grâce au soutien déterminé de l’ancien chancelier Gerhard Schroeder. Ce dernier
est à présent fortement impliqué dans
des entreprises énergétiques russes.
Madame Merkel s’est
engagée à construire le Nord Stream 2, également d’une capacité de 55 milliards
de m3. La Commission européenne s’est opposée à cette nouvelle construction au
motif que la sécurité d’approvisionnement énergétique ne serait pas assurée en
raison du niveau trop élevé de dépendance envers un seul fournisseur – la
Russie en l’occurrence. Cinq autres membres de l’Alliance militaire se sont
également élevés contre ce projet de gazoduc du partenaire allemand : la
Pologne, la Slovaquie, l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie.
LE TRIOMPHE DE LA ROCHE-MÈRE US
En déclarant, à
l’intention de Mme Merkel : « nous sommes supposés vous protéger contre la Russie et
vous lui donnez des milliards de dollars, je pense que c’est très
inapproprié », Trump
vient appuyer la position de la Commission européenne, mais sans doute pour des
raisons différentes.
Ce que veut le
président américain, c’est d’abord promouvoir la vente du gaz de roche-mère
américain partout dans le monde et en particulier dans l’UE, ce qui pourrait
gêner les exportations russes mais aussi réduire l’influence russe non
négligeable grâce à son gaz naturel mais plus encore de son pétrole. Toutefois,
il ne faut pas perdre de vue que l’abondance d’énergies fossiles au niveau
mondial a changé le paradigme : désormais, c’est le marché qui décide des
flux de transfert du gaz naturel (voir mon dernier livre).
Le gaz américain n’a pas nécessairement pour vocation de remplacer le gaz russe
mais il peut enfin faire jouer la loi du marché et mettre le prix des
fournitures russes sous pression.
Bruxelles a largement
été le centre d’intérêt des Américains ces 11 & 12 juillet : le
Secrétaire d’État à l’Énergie Rick Perry et le Secrétaire d’État Mike Pompeo
ont abordé la Commission européenne dans le cadre du 8ème Conseil Énergie USA-UE, afin de promouvoir, eux
aussi, le gaz naturel américain. Maroš Šefčovič, le commissaire européen le plus actif dans l’opposition au Nord Stream 2
a déclaré que « le
marché du GNL [gaz
naturel liquéfié] gagne
en importance, l’approvisionnement américain pourrait changer la donne. L’UE
est un grand marché attrayant et un client fiable. Nous avons déjà fait beaucoup pour compléter les
infrastructures nécessaires » pour la réception de GNL et a ajouté « nous sommes prêts à faire croître nos
échanges de GNL ».
Pour bien confirmer
que c’est le prix qui, in fine, sera le facteur déterminant, Rick Perry – le
« ministre » de l’Énergie de l’Administration Trump – , lors d’une
conférence de presse clôturant le 8eme conseil UE-USA sur l’Énergie à Bruxelles, a
rappelé : « avec
des prix américains compétitifs nous serions dans une situation
gagnante-gagnante »
et que « les
États-Unis ne soutiennent pas des gazoducs comme Nord Stream 2 et TurkStream
qui ne feraient qu’augmenter la dépendance à une source d’approvisionnement unique [c’est-à-dire la Russie] ». À cette
occasion le commissaire européen à l’Action pour le Climat, Miguel Arias
Cañete, pourtant ardent défenseur des énergies renouvelables, a estimé que le
GNL était une alternative bienvenue puisque les besoins de l’UE seront en
croissance. À noter que le discours de clôture du
« High Level Stakeholder Conference » qui s’était tenue la veille
également à Bruxelles, ne mentionne nullement le terme « gaz
naturel ».
Le président américain
s’en est également pris à la Turquie qui, elle aussi, s’apprête à importer plus
de gaz russe via le gazoduc TurkStream qui aura une capacité de 16 milliards m3, dont la partie submergée dans la Zone Économique
Exclusive russe de la mer Noire est déjà terminée.
Pourtant ce membre de l’OTAN n’accorde pas une confiance aveugle à la Russie
puisqu’il a l’intention de se diversifier, notamment en ouvrant deux nouvelles
mines de charbon afin d’accroitre sa génération d’électricité quelles que
soient les émissions de CO2. La Turquie entend également produire du gaz ou, à
tout le moins, en contrôler la production en Méditerranée orientale. C’est la raison
pour laquelle elle a bloqué un bateau de
forage italien en avril dernier – pourtant un autre pays de
l’Alliance militaire – en route pour aller opérer au large de Chypre, un État
membre de l’UE.
LA DÉFAITE DE L’ACCORD DE PARIS
Pendant le Sommet en
France, l’introduction d’une référence au changement climatique n’a pas été
adoptée, et ce malgré la belle déclaration du Président Macron : « sur le climat, il n’y a pas de plan B. Car
il n’y a pas de planète B » et « le
changement climatique est le grand défi de notre temps ». Pendant ce temps que fait le
partenaire polonais de l’Alliance le 12 juillet ? Il décide d’autoriser un
nouvel investissement de 1,6 Md$ dans l’utilisation du charbon. GE Power et Elektrownia
Ostroleka vont construire une centrale électrique au charbon
ultra-supercritique à Ostroleka, au nord-est de la Pologne. Même si
l’efficacité de cette centrale promet d’être élevée – un rendement de 46%, bien
au-dessus de la moyenne mondiale de 33% – elle n’entrera en production qu’en
2023 et produira sans doute au-delà de 2050, certes de l’électricité mais aussi
du CO2, ce qui entre totalement en contradiction avec la vision du président
français. Quoi qu’il en soit, il est ironique de constater que selon le dernier rapport l’Agence internationale de l’énergie sur
les émissions de CO2 le champion des réductions est bien le
pays de Trump (-0,5% en un an) tandis que les émissions mondiales ont crû de
1,4% et celles de l’UE sont en croissance de 1,5% !
Toujours ce même 12
juillet mais à Paris, le ministre allemand de l’Économie Peter Altmaier s’est
entretenu avec Nicolas Hulot. Au-delà des paroles lénifiantes sur « des objectifs ambitieux pour l’Europe en
matière d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique » et les sempiternelles promesses
de solutions futures, où l’hydrogène apparaît inévitablement, il est clair que
les positions de ces deux membres de l’Alliance sur le charbon divergent. M.
Altmaier n’a pas caché que « c’est difficile de se mettre d’accord là-dessus » eu égard à l’importance
historique du charbon, qui se perpétue à travers la génération d’électricité à
partir de son combustible fossile et plus spécifiquement du lignite, le
combustible produisant le plus de CO2. L’Allemagne ne peut et ne veut pas sortir
du charbon, comme elle se prépare à le faire pour le nucléaire. Elle ne le peut
pas, parce que le développement exceptionnel et impressionnant qu’ont connu les
énergies renouvelables a atteint ses limites, tant et si bien que le pays qui
aura le plus cru et dépensé pour leur promotion n’atteindra sans doute pas
l’objectif de 18% imposé par la directive européenne. Elle ne le veut pas non
plus car cette production d’électricité à partir d’un combustible très bon
marché compense en partie le surcoût occasionné par les
énergies renouvelables. Fermer ses propres centrales au lignite si
compétitives tandis que la France continue à utiliser de l’énergie nucléaire
serait inacceptable pour l’Allemagne.
CACOPHONIE À TOUS LES ÉTAGES
Et le Royaume-Uni dans
tout cela ? Embourbé dans sa préparation du
Brexit, le pays a mis la question énergétique en arrière-plan, mais
il est intéressant de noter qu’au cours de ces deux journées si riches en
contradictions, le Royaume-Uni a fait l’objet d’une autre source de cacophonie
entre membres de l’Alliance. Le Luxembourg et l’Autriche (qui, elle, ne fait
pas partie de l’OTAN) ont contesté la décision de la Commission européenne
d’approuver des aides potentielles au Royaume-Uni pour la génération
d’électricité par la centrale nucléaire de Hinkley Point, centrale qui devrait
entrer en fonctionnement vers 2024. Lors de l’introduction du recours auprès de
la Cour de justice de l’Union européenne en octobre 2017, la ministre de
l’Environnement du Luxembourg, Carole Dieschbourg, a déclaré que « pour nous, l’important est d’éviter une
renaissance du nucléaire ». Ce 12 juillet dernier, la Cour a rejeté l’ensemble des
arguments des plaignants. La ministre membre du parti Les Verts
n’est pas parvenue à bloquer la centrale nucléaire décidée par le Royaume-Uni,
qui sera construite par la France, tous deux alliés de l’OTAN …
Sur la question du
pétrole, la position des USA diverge également de celle de la plupart des
membres de l’Alliance. Le président Trump aura sans doute fait remarquer à ses
alliés que l’abondance de pétrole de roche-mère américaine aggrave
indirectement la triste situation
vénézuélienne. En effet, alors même que se tenait ce sommet, l’OPEP a annoncé que
la production de brut au Venezuela a poursuivi sa chute en juin, avec 1,5
million de barils par jour, soit son niveau le plus bas en 30 ans. Mais ce qui
illustre davantage la division entre les membres de l’OTAN, c’est ce qui s’est
passé lorsque le secrétaire d’État, Mike Pompeo, a insisté sur
le soutien qu’il attend des partenaires des USA afin d’asphyxier l’Iran, en
mettant fin aux importations pétrolières en provenance de ce pays. En twittant
« nous demandons à nos
alliés et partenaires de se joindre à notre campagne de pression économique
contre le régime »,
« nous devons couper
tout financement que le régime utilise pour financer le terrorisme et des
guerres par procuration », il se place bien dans le cadre de l’alliance de défense. En
attendant, les membres européens de l’Alliance continuent d’affirmer leur
attachement à l’accord du 14 juillet 2015, même si le document qui porte le
titre d’accord nucléaire, contient le mot pétrole au
moins 65 fois. De fait, l’Iran possède 10% des réserves mondiales de
pétrole mais a sérieusement besoin de récupérer son retard en matière de
technologie pour continuer à vendre du pétrole dont le monde aura toujours
besoin. Autre exemple de cacophonie : alors que les USA mais aussi le
Canada s’empressent de produire plus de pétrole, plusieurs autres membres de
l’Alliance tentent de faire croire que les véhicules électriques vont bientôt
permettre de se passer de pétrole…
Nous laissons pour la
fin une autre information du 12 juillet qui, à première vue, relève davantage
du fait divers que de politique énergétique. Il n’en est rien. La police italienne a découvert une
nouvelle affaire qui implique la ‘ndangheta, la très puissante organisation
calabraise du crime organisé, dans un scandale de fraude sur les installations
éoliennes. Treize personnes, dont le maire d’un village calabrais, et six
entrepreneurs ont été arrêtés. Des multinationales telles que Gamesa, Nordex et
Vestas, ont été obligées de pactiser avec les ‘ndrines1, parce que menacées de dommages, retards, vols et
problèmes divers sur les chantiers mais aussi pour faciliter les procédures
administratives. Depuis des années – et pas seulement en Italie – les
subventions aux énergies renouvelables sont une source de malversations et corruptions
diverses ; dès qu’il y a de l’argent public, des gens malhonnêtes en
profitent pour s’approprier ce qui provient des impôts des honnêtes gens.
LES ÉNERGIES FOSSILES N’ONT PAS DIT LEUR DERNIER MOT
Que conclure de ces
deux journées si riches en décisions et déclarations en particulier en matière
d’énergie ? Avant tout que des dirigeants de premier plan n’ont pas tous
encore saisi que l’abondance des énergies fossiles redimensionne la notion de
sécurité d’approvisionnement énergétique ; ou alors ils le savent bien mais
pour diverses raisons ils feignent de l’ignorer. Les réserves de gaz très
abondantes et diversifiées imposent de changer la clef de lecture de son
approvisionnement : aucun pays ne peut utiliser l’arme de la rétorsion
gazière, arme qui n’a d’ailleurs jamais été utilisée auparavant ! Au
demeurant il en est de même pour le pétrole et c’est ce qui explique que le
rôle de l’Iran est totalement redimensionné.
Ensuite il faut
constater que le monde de l’énergie est plus divisé que jamais parce que ce ne
sont plus de décisions rationnelles basées sur le prix et la transparence qui
prévalent, comme c’était le cas avant que l’on ne parle de changement
climatique. Cette conviction non seulement divise l’OTAN mais crée une
cacophonie qui ne peut survivre que grâce à une manipulation des marchés,
manipulation qui arrange bien certaines entreprises énergétiques qui
n’acceptent pas l’idée de vivre dans un monde concurrentiel et globalisé.
Mais il y a plus
préoccupant. Dans le reste du monde, des décisions rationnelles sont mises en
œuvre, qui conduisent à une fourniture d’énergies à bas prix, ce qui accentue
les nombreux avantages concurrentiels dont ces pays jouissent déjà. Puisque
leurs décisions non politiquement correctes creusent encore l’écart entre ces
pays et les États européens ceux-ci feraient bien de les imiter car dans un
monde globalisé – et notamment un marché de l’énergie mondial – on ne peut pas
avoir raison tout seul.https://www.contrepoints.org/2018/07/18/320498-les-membres-de-lotan-en-pleine-cacophonie-energetique
- _ednref1
On notera les remarques concernant le recours au charbon par l'Allemagne. Ce qui met, une fois de plus, en lumière le déni autistique de ceux qui mettent toujours et encore ce pays sur un piédestal comme exemple à suivre
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